Michel-Ange, Michel-Ange, Michel-Ange Ô !

.

un monde à faire et défaire,

un monde dans le monde,

formes informes des nues où se forment les choses rêvées qui passent au gré de l’esprit errant,

monde aphone, chutes vertigineuses, apesanteur, temps aboli, espace sans.

lorsque le monde se fait rêve et se confond avec le monde du rêve pour que s’estompent le temps et l’espace,

pour que s’unissent le gris et le bleu lorsque le rêve se fait monde.

le rêve

.

 

«Michel-Ange, Michel-Ange» et «Michel-Ange Ô!»

Jusqu’à ces périodes intitulées Michel-Ange,Michel-Ange et Michel-Ange Ô, l’œuvre de Brigaudiot était presque exclusivement non figurative, le tableau ne représentait pas mais se présentait en sa nature physique: formes, textures, matières et couleurs. Ce qui n’excluait certes point le surgissement de phénomènes sensibles, perceptifs et émotionnels développés par le spectateur, phénomènes associatifs où le déjà-connu de ce spectateur éclaire et peut-être modifie son appréciation. Les périodes Michel-Ange font suite à des œuvres antérieures dont les Palimpsestes, période qui prend fin avec un groupe de travaux informels sur papier, des installations murales, œuvres peu exposées car rapidement suivies du surgissement de la figure humaine empruntée au répertoire graphique de Michel-Ange. Ce surgissement n’est cependant pas un simple emprunt, il procède autant de prélèvements très sélectifs que de raisons d’ordre psychanalytiques où se profile doublement la figure du père : le conflit originel, long et dur conflit fils-père et en même temps figure de soi en tant que père. Ou bien tuer le père pour être soi-même le roi-père. Le double, soi et l’autre qui est moi, ainsi la figure répétée d’un soi père-tueur du père et d’un père-géniteur va générer l’apparition de ces puissants corps michelangelesques en une représentation picturale qui est avant tout présentation, exposition des figures autant qu’exhibition du geste et du faire pictural.

Ainsi le double corps est-il également coup double en ce qu’il sous-entend de Michel-Ange, du corps masculin et musculeux, des figures de l’Antique et de la Renaissance, bref des racines, tout cela en une peinture libre d’elle-même, libre de rappeler qu’avant de figurer ce que vous voyez, elle est peinture, ce que sur quoi insistent ces croix dont le tableau est parsemé : ce que vous voyez est d’abord peinture, faire, matière, couleur et trait. Référence à Josef Beuys? Peu à peu la période Michel-Ange intègre une mise en scène, un décor paysagé, ce que confirment quelques signes redondants, ceux de la colonne dorique, une certaine postmodernité ancrée dans l’Antique autant que dans la Renaissance qui sut redécouvrir et s’approprier l’antiquité. Puis les tableaux peints sur bois (une feuille de contreplaqué) ont quitté le format du cadre. Le support a permis la découpe des figures principales et ont laissé pour compte et chutes des bribes de paysages, lesquelles vont un peu plus tard trouver un usage de réemploi avec la naissance de la période des Paysages Discontinus. En attendant, au fil du temps, les figures à l’origine michelangelesques se déshumanisent et s’agitent, quittant le répertoire graphique du maître pour devenir des anges bien peu angéliques, groupes et assemblées de personnages ailés qui cependant ne battent point de l’aile!. Ainsi ce sont des figures/silhouettes maniérées découpées dans le bois puis peintes et soclées qui terminent cette période Michel-Ange dont le rebondissement vers le paysage se fera à partir des chutes de bois peint : ces petits paysages tenant initialement lieu de fond aux figures humaines. Ces chutes, chutes des anges, recyclées ouvriront la voie aux Paysages Discontinus, et l’ange ayant chuté, voire fauté, reste le paysage dénué de parricides et autre divertissements.

Cette période, 1987/1989  consacrée à la figure humaine et au corps masculin viril et dénudé, est à priori accompagnée d’une multitude de dessins préparatoires, études des corps partant initialement de dessins de Michel-Ange, puis se libérant du maître et s’orientant vers une indéniable emphase posturale de ces  figures humaines. Ces dessins préparatoires sont pour partie des calques, donc avant tout des outils de travail. Mais d’autres dessins, plus tardifs, notamment ceux inscrits dans les carnets montrent des voies vers lesquelles cette période aurait pu s’orienter, sortir d’elle-même, bien ailleurs que là où se placèrent les grands formats en peinture à l’huile où le plaisir de peindre va de pair avec une certaine figuration, peut-être autoportrait. Avec les carnets le dessin des figures se libère davantage encore de règles de représentation de la figure anatomique pour chercher d’autres voies, d’autres sens, une autre indépendance : figures miniatures de corps crucifiés, écartelés, désarticulés, inscrits dans des mandorles, loin cependant de l’iconographie chrétienne pour s’en aller vers d’autres mondes, par exemple en tant qu’icônes, et vers d’autres sens.

D’autre part il existe un petit nombre d’objets qui ne sont pas vraiment des sculptures mais des plans de bois peints recto-verso avec une même figure humaine.  Celle-ci est découpée selon les limites de la figure et soclée afin qu’elle se dresse dans l’espace réel. Problématique du double autrement traitée que dans les grands tableaux à l’huile où cependant la même figure se dédouble en un moi-je suis un autre,  problématique relevant également de la psychanalyse, ou bien s’agit-il d’une période explicite d’auto-analyse telle que la permet la création artistique.

 


Brigaudiot n’est pas de ceux qui rêvent, comme Mondrian, à l’immobilité géométrique des pyramides. Il appartient plutôt à la race des artistes qui s‘intéressent moins à l’œuvre « faite » qu’au processus de son instauration. C’est ce qui explique la diversité des états dans lesquels il laisse ses tableaux.

Jean-Luc Chalumeau, mars 1988, exposition « Michel-Ange-Michel-Ange » Galerie Est, Paris.