Les Palimpsestes

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rêves au cœur de noirs aussi profonds,
ceux de la nuit d’avant les temps +
rêves d’espaces si vastes
de tant d’étoiles, de cieux où s’égare l’imaginaire
rêves de mondes incréés,
inimaginables, irreprésentables
esprit vague, avant les temps, avant toute chose et.
loin, si loin

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Les Palimpsestes : le monochrome polychrome. CF les Nymphéas.

Les palimpsestes ont été ainsi nommés par, Jacques Cohen, le préfacier d’expositions qui se tinrent à Metz, galerie Divergences et à Paris chez FCA! Publicité, puis à la galerie Gabrielle Maubrie à Paris, expositions du début des années 80. Ce sont des œuvres picturales et graphiques fondées sur la réalisation de plus ou moins vastes champs de non-écritures couvrant le tableau de lignes de hachures de différentes couleurs superposées faites au pastel gras. Travail lié à la thèse que Brigaudiot avait commencé à rédiger sur son propre parcours artistique, une analyse critique de ce travail éclairé par le champ de référence. Révolte de l’artiste contre l’éloignement obligé de son œuvre plastique au profit d’une analyse de celle-ci, révolte débouchant sur une sorte d’écriture elle-même seulement plastique: ne pas finir l’écriture de la thèse, infinir la peinture Avec le recul des années on peut percevoir ces Palimpsestes comme ces paysages ruraux où les champs ont été fraîchement moissonnés, ou bien encore des champs où lèvent à peine les jeunes pousses des blés ou des colzas ; et puis avec ces hachures mises en lignes successives, on trouve en ces œuvres une anticipation de cette concomitance  de l’écrit (le poème) et du signe purement plastique. On y trouve aussi un préalable à ces thèmes récurrents dans la poésie de Brigaudiot des années 2000 : l’in-fini, ce qui est sans fin, toujours à faire et refaire, in process : le travail de l’artiste comme perpétuel recommencement, l’œuvre à jamais en chantier, caractéristique récurrente.

 


Une autre aventure commence : il entre en peinture. Cette aventure, il nous la donne aujourd’hui… Brigaudiot sait ce qu’il en est  de l’écriture (il a déjà publié un recueil de poèmes : « Mouvances ») et connait la frustration qu’elle fait naitre en lui lorsqu’elle l’éloigne de la peinture : alors commence, à partir de la peinture et du milieu d’elle, continuer à écrire toujours.

Ce qui semble caractériser l’acte d’écrire est la répétition des signes et des gestes qui concourent à leur apparition sur la surface ; liaison et répétition des signes et des traces qui désignent, pour l’artiste, le lieu d’une cursivité sans début et fin, cour infini d’aune liaison sans discours. Ecrire pour ne rien dure : c’était déjà la poésie, maintenant c’est la peinture : écrire pour ne rien lire.

Poursuivre l’aventure pour que la peinture naisse de l’écriture.

Cette problématique d’une certaine peinture contemporaine est le milieu d’où veut sortit Brigaudiot pour y entrer autrement, c’est-à-dire par l’écriture…

Le même n’est qu’un effet de la différence qui se produit par la répétition. Brigaudiot ne répète pas pour reproduire le même mais pour interroger l’identité : qui est-il, lui, qui fait cela ? Ou plutôt, comment écrire pour que la peinture ne le décrive pas ?

Pour que la peinture ne décrive pas mais s’écrive ?
Pour infinir le monde, la peinture doit s’infinir elle-même…
Infinir l’écriture par la peinture,
Infinir la peinture par l’écriture.

Jacques Cohen, 1981. Exposition Brigaudiot chez FCA, « Palimpsestes ».


 

La période des Palimpsestes (1981/1985) trouve son origine au cœur des tableaux abstraits géométriques, dans le carré central de ceux-ci. Ce carré était alors sans dénomination et couvert d’écritures/hachures ; il va devenir sujet lorsqu’il sera découpé et sorti du tableau et dès lors il sera une œuvre autonome qui s’appellera Palimpsestes Cette période est accompagnée d’une quantité non négligeable de dessins inscrits dans de petits carnets ou exécutés sur des supports papier indépendants. Ces dessins, davantage que les Palimpsestes comme œuvres picturales majeures et de grands formats, exécutées sur toile libre ou sur papier, vont témoigner, quant à la nature de ces Palimpsestes, de possibles digressions de l’ordre formel et conceptuel instauré : celui de lignes d’écritures de différentes couleurs recouvrant à l’infini les précédentes selon le principe du All Over. Ainsi certains dessins s’orientent vers ce qui évoque peu ou prou des tapis. La plupart, cependant, témoignent d’un parti pris où les signes/hachures s’espacent les uns des autres en entités graphiques plus ou moins autonomes, ici sans que les lignes d’écritures de ces signes ne se recouvrent ; signes/hachures organisés en lignes successives. L’occupation de l’espace du support est ainsi scandée par des signes répartis à plus ou moins égale distance les uns des autres dans toute la surface du format. Pratique répétitive ? Plus ou moins. Renoncement objectivé à la  composition pour une non-composition, certes oui, mais avec cependant une organisation choisie de l’espace. Point commun avec les grandes œuvres de cette époque : peut-être s’agit-il, pour partie, d’une thérapie issue du geste répétitif, une scansion à l’instar de certaines musiques (peut-être contemporaines et répétitives ou bien sans âge et préhistoriques, peut-être religieuses…), il s’agit de compter le temps, d’égrener un chapelet, de tapoter sur un coin de table…rythmes.