La poésie

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un au-delà qui jamais n’en finit de lui-même
inconscient de ce qui ne se peut
comme un rêve se déployant hors toute mesure

silence entre les étoiles
imaginaire errant

espace que nulles limites ne sauraient
indicidibilité de l’immense
où s’égare l’imaginaire
où explose la pensée magnifique
où le dire s’abolit en son oubli

espace où la raison d’estompe
comme une nue si fragile et si pâle sur fond de bleu
à peine, nue informe, jusqu’à sa transparence
vers son oubli, silence

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Ouvrage “une incertaine poésie… (de l’écriture plasticienne)” Jean-Pierre Brigaudiot, Gérard-Jacques Mélis. Editions L’Harmattan, collection esthétiques, espace dess(e)ins. 2016

Pratique de la poésie

Une poésie plasticienne: mots en peinture et le sens s’égare

Dès l’adolescence, la poésie est là et va de pair avec l’œuvre plastique de Brigaudiot, même si longtemps elle a fait bande à part en tant que « simple écriture », restant là, juste sur le bas-côté-. Elle apparaît physiquement dans les territoires de la plasticité comme un élément textuel porté sur les installations murales ou au sol de la période des « Paysages Discontinus », d’abord sous la forme redondante de ce même titre, invitation à percevoir ces paysages comme à la fois des artefacts et comme les tremplins et supports d’une possible réflexion en même temps que rêverie. Avec les mots de la poésie, le ressenti-pressenti du monde diffère de ce que permet l’œuvre plastique avec la peinture, la sculpture, l’installation, la vidéo, qu’elles figurent ou non un visible identifiable. Puis quelquefois la poésie se fait répétitive, énumérative et taxinomique en déclinant des listes d’herbes folles, associations du sauvage au construit (le dessin, ce qui est dessiné, peint ou bâti). C’est n’est cependant qu’au cours des années 2008/2010 que la poésie s’impose pleinement en tant que telle et poème; elle se fait envahissante et finalement, se faisant exclusive elle se trouve une vraie place dans l’œuvre plastique, ayant évacué toute concurrence : autosuffisant, le seul poème envahit la surface du tableau, en faisant ainsi un tableau écrit en même temps que peint. La poésie s’impose comme sujet de l’œuvre, sujet unique du tableau, se faisant concomitamment visuelle et plastique : à lire autant qu’à percevoir sémantiquement et à déguster en ses formes, textures, couleurs, mises en scène. Et en son chant : il ne faut pas oublier la résonance des mots dans la tête du lecteur et spectateur : résonance intérieure. Grands, très grands formats sur carton, sur toile, sur panneaux de bois, à même le mur…

Et puis, par la force des choses, avec des expositions de plus en plus fréquentes en Corée et en Iran l’écrit, les mots de la poésie échappent à leur sens, du moins pour qui ne comprend ces langues orientales. Dès lors restent, pour ceux-là, à déguster les signes graphiques et calligraphiques, en tant que tels, inscrits sur le support en lignes horizontales plus ou moins noyées dans une brume d’un gris chaud: illisibilité de la poésie, le sens premier s’évapore et se noie dans la plasticité.

Les thèmes développés par cette poésie vont et viennent en métaphysique, en l’au-delà d’ici bas, en l’infini et l’incommensurable. Vont et viennent du lointain, les cieux, du temps illimité, jusqu’au plus proche, jusqu’au moindre: un souffle, une teinte, un reflet dans l’eau, un oiseau comme signe plastique. car cette poésie est celle d’un artiste plasticien, faite de mots terriblement incapables d’épuiser, à eux seuls, son ressenti du monde.

Mais cela n’est pas si simple car la poésie de Brigaudiot est, comme l’est globalement son œuvre, à jamais in-finie, toujours à reprendre, réécrire, toujours in process. Ainsi le poème, en son unicité est sans fin, il s’expose, s’oublie et réapparait soudain, réécrit, fondu en un autre, pour, peut-être, redire le même ou presque, autrement, associé autrement. Sa manière d’aller de pair avec la peinture, d’être en peinture évolue, et ce sont parfois juste quelques mots issus du poème, ce sont des prélèvements qui côtoient et traversent la peinture, la photo ou la vidéo. Bien des choses changent sans cesse dans cette démarche in process, l’œuvre est mouvante: la perception du monde, la lisibilité ou non du texte inscrit au pochoir à lettres, le sens incertain des mots, leur chant, leur impuissance à dire… La poésie est le reflet vivant d’un être au monde, d’un monde définitivement autre que tout ce qui le pourrait définir, comme le sont la peinture ou quelque œuvre que ce soit, chez Brigaudiot.

Comme l’œuvre de Brigaudiot en sa globalité, sa poésie qui ne s’en détache guère va, vogue à travers le temps, à jamais finie, toujours in process, toujours à refaire et défaire, corps vivant et vivace. Ainsi nul poème n’a de fin, ni vraiment de but. Car le temps passe, ce qui est écrit et dit en cette poésie peut toujours l’être autrement, s’articuler autrement à la perception du réel, l’imaginaire en étant une forme.

Poésie et photo.

Toujours selon le principe du in process, l’œuvre poétique cherche à sortir de sa nature et de sa définition: quelquefois, elle se glisse dans le territoire de la photo. Certains poèmes sont numérisés et tirés sur papier photo, ce sont donc des textes incrustés dans la chair du papier photographique sans jamais avoir suivi le cheminement alchimique propre à la photo. Ici, le poème, sans passer par une préalable prise de vue, se fait image. Et en même temps s’installent, au cœur de la période des paysages discontinus, des photos de « petits riens », des choses à priori insignifiantes capturées ici et là, au gré des déplacements de l’artiste, choses émouvantes car si modestes qu’elles en sont in-visibles à qui ne rêve guère. L’inscription de la poésie au cœur des supports de la peinture, dans la chair du papier photo, à même le mur excluent de facto le principe de son édition donc de sa multiplication infinie, au profit de l’unicité du poème. Il s’agit clairement d’aller à l’encontre de la multiplication in-finie de la photo qui, en ce cas, se fait image, objet de consommation, périmé dès lors que diffusé. Et cela permet d’affirmer l’unicité de l’être au monde. Cette unicité est un parti-pris objectivé, parti-pris presque obligé d’artiste.

La façon dont la poésie de Brigaudiot va de pair avec la peinture, dans la peinture, avec la photo, dans la photo, dans l’espace-temps du cinéma, avec la vidéo, évolue et ce sont parfois juste quelques mots issus d’un poème, ce sont des prélèvements qui côtoient et traversent la peinture, la photo ou la vidéo. Mais bien des choses changent sans cesse dans cette démarche in process, l’œuvre est mouvante : la perception du monde, la lisibilité ou non du texte inscrit au pochoir à lettres, l’illisibilité de la poésie, le sens incertain des mots, leur chant, leur impuissance à dire. Cette poésie infinie est le reflet vivant d’un être au monde, d’un monde définitivement mouvant et autre que tout ce qui le pourrait définir, comme le sont la peinture ou quelque œuvre que ce soit, chez Brigaudiot.

Poésie libre d’elle-même, de s’écrire, de s’effacer, de se taire ou de crier les mots. Libre de dire et de ne pas dire, éphémère et fragile comme un souffle.