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espaces impalpables du rêve où s’épand tout possible,
où les lointains bleuissent entre les nues:
se forment et se transforment au gré des brises,
vont et se dissolvent.
fuite du temps en son déploiement.
(un incertain réel en doute de lui-même).
doute de soi, de toute chose,
du temps passé et de celui à venir.
temps en son insaisissable démesure.
doute et rêve de l’advenir et.
va, vient, illisibilité du sens.
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La photo
Chez Brigaudiot, la photo accompagne l’œuvre bien avant de se vouloir artistique : elle prend place comme substitut au traditionnel et ancien carnet de croquis, comme moyen de fixer et mémoriser des situations le plus souvent éphémères car ressenties comme possiblement sources de travaux à venir, éventuellement en d’autres médiums que la photo. Ce fut lorsque sa poésie quitta son « territoire naturel » d’apparition, imprimée sur le papier, que Brigaudiot mit en vis à vis photo et poésie, en même temps qu’il mettait en vis-à-vis poésie et peinture, face à face définitivement muet et cependant dialogue de sourds puisque l’une et l’autre ne sont pas du même monde: prioritairement celui du dicible et celui du visible. Silence relatif, de part et d’autre, mais qui a tant à dire, au-delà des mots et des couleurs, pour dire, s’il se peut, ce qui, à peine, un petit peu, est au monde. La photo, pour Brigaudiot, se fit peu à peu et de plus en plus poésie, une certaine poésie qui précéda la naissance de cette vaste période des Paysages Discontinus. Brigaudiot tend à rêver sa vie, le monde, les objets du monde, ce dont il rend compte depuis des lustres. La photo, la prise de vues se firent peu à peu plus sélectives en même temps qu’elles acquirent une dimension poétique propre, au-delà ou en deçà des mots, malgré les mots. Lorsque, vers 2008, Brigaudiot revint avec détermination à l’écriture poétique trop longtemps délaissée, il ouvrit davantage celle-ci à des questions peu ou prou métaphysiques liées et faisant écho à ce qu’il nomme les petits riens : objets du quotidien, objets de si peu qui échappent au regard et à toute attention, sauf peut-être pour ceux dont l’esprit flotte mésologiquement en poésie. C’est ici que la photo advint comme outil de saisie, de pérennisation et de partage de l’émotion possiblement ressentie au vu de ces petits riens: un abreuvoir pour les animaux sauvages, au coin d’un champ, un reflet dans une flaque d’eau, quelques coquelicots, une enfilade de miroirs dans une brasserie, un moineau perché sur un poteau… Emotions à caractère indéniablement poétique suscitée par si peu, presque rien ou moins encore. La photo devient alors le passeur de l’état de presque rien, d’invisibilité à un état émotionnel et sensible à caractère poétique.
Elle fait écho à la plasticité du poème d’artiste dont elle est partenaire, auquel elle est associée, compère des mots de la poésie en un définitif non dire sous le silence glacé du papier photo en la chair duquel elle est incrustée ; non dire de la photo et si faible pouvoir dire des mots du poème laissant ouverte la porte de l’émotion, celle qui justement naît de l’incomplétude de ce dire.
Quelquefois la photo dit le poème et transgresse l’alchimie qu’est sa technique ; le poème n’est point photographié, il est juste écrit à l’ordinateur puis incrusté numériquement dans la chair du papier, comme l’image peut l’être. Et chaque tirage est unique, valorisation propre à l’unicité, comme celle du tableau, en même temps que résistance à la photo comme objet de consommation ordinaire que le premier regard exténue déjà car, en ce cas, elle n’a point d’épaisseur, premier regard qui est peut-être le dernier. Photo de la poésie en tirage unique : résistance également à l’impression en nombre et à la noyade qualitative en ce trop grand nombre. Prise de position pour une poésie qui ne se dirait-lirait qu’une seule fois, pour une poésie qui se crée et s’efface en un même moment, temps réel, irréversible, comme, encore, la poésie que disent les vidéos de Brigaudiot où le temps du dire est aussi le temps du disparaître : en poésie comme il en est de la vie, on ne joue qu’une fois. Ce qui est lu et dit l’ayant été n’est plus qu’ombre de lui-même, souvenir tellement vague et fragile.
Échapper aux mondes de l’art et à une survalorisation organisée qui conduit à prendre les vessies pour des lanternes.
Photo éphémère, poésie de l’instant, sans retour.