La genèse. I, II, III

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temps accompli
comme si tout avait été dit
et cependant.
le silence entre les étoiles,
celui des aurores et des crépuscules
celui des nuits,
lorsque les eaux se meuvent à peine,
lorsque tout reflet s’y noie
parfums fugaces.
sérénité peut-être
jour après jour,
esprit effaré.
traces
à peine dans le bleu, diaphanes, déjà estompées
un oiseau, là-haut.
si peu,
ombre fragile de lui-même
comme peut l’être la calligraphie de son propre signe
temps accompli et tout reste à dire et à rêver
à rêver;
l’incréé,
espaces de l’innommé

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La Genèse en tant que thème, peindre, écrire.

Le thème des expositions au Musée d’art contemporain d’Ispahan, été 2019,  à la Galerie Dorossy Salon, à Séoul, au printemps 2020 et lors de l’automne 2021, au Centre Culturel Iranien, à Paris, fut celui de la Genèse, celle que conte la Bible, avec les sept jours de la création. Les thèmes bibliques apparaissent périodiquement, depuis fort longtemps, dans le travail de Brigaudiot, en poésie autant qu’avec les œuvres plastiques. Ainsi, lors de l’exposition du Centre d’Art de Gennevilliers, en 1992, une grande installation se référait au Déluge. Pour Brigaudiot ces textes bibliques sont porteurs d’une forte charge poétique et leur lecture est perçue comme très emphatique, comme peuvent l’être quelquefois les homélies: tonalité dramatique du conte et du récitatif où il est question de la création, d’événements inouïs, de bouleversements de l’ordre du monde en un rapport initial, direct, avec un dieu créateur.

Lors de ces expositions de 2019, 2020 et 2021, Brigaudiot tente de faire vivre ensemble les œuvres plastiques (des peintures sur papier) et les sept  poèmes écrits en écho au texte de la Genèse, celui de  la Bible. Depuis de nombreuses années, avec initialement les Paysages Discontinus, la poésie de Brigaudiot qui côtoie, croise les oeuvres plastiques et fusionne avec elles, est au programme de sa démarche: poésie qui tend à la  fusion de la peinture et de l’écriture où, autrement dit, de l’écriture poétique mise en peinture. Écriture qui se fait peinture et où la peinture se fait écriture, en français, en coréen et en persan. Les poèmes écrits en coréen et en persan, pour qui ne parle ni ne lit ces langues, donnent à voir leur seule plasticité; de même, avec les vidéos, leur lecture en ces langues privilégie autant la contemplation de leurs caractères que le chant des mots. La vidéo éditée à l’occasion de l’exposition du musée d’Ispahan, offre, outre la peinture et la typographie, l’espace-temps du cinéma et le chant des mots pour une autre approche de la Genèse.

Du sens et de ses incertitudes.

Ainsi Brigaudiot, au cours de cette période de la Genèse,  installe un va et vient permanent entre la poésie et la peinture, entre l’écrire et le dessiner/peindre ( qui est aussi écrire) , le voir et le lire, le comprendre (si faire se peut) et le ressentir/pressentir. Poésie à lire et à contempler, mise en écho avec ce qui est peint…mais les mots de la poésie sont peints, eux aussi! Perte partielle de leur sens au profit d’une appréhension par les sens plus encore que par la compréhension. Mais encore, cette poésie joue de l’incertitude du sens de l’écrit, sens resté en suspens, sens ambigu et même improbable. Ainsi la poésie, avec ses mots, rejoint l’incertitude d’une peinture qui sous-entend et  suggère plus qu’elle ne saurait affirmer et littéralement dire. Volonté d’ouverture à l’interprétation, au ressenti et à l’hypothèse. Oeuvres poétiques et picturales marquées du sceau de l’in-fini; portes ouvertes sur la flânerie de l’esprit et sur le rêve de sens bien incertains.

La poésie inscrite à même le mur.

Au fil des ans, la poésie cherchait sa place, ailleurs qu’imprimée dans un recueil ou elle dormait trop souvent, profondément, ignorée, oubliée. C’est au cours des années 90 qu’avec les Paysages Discontinus, elle est advenue au grand jour, inscrite au mur, d’abord comme titre récurrent d’œuvres murales: “Paysage Discontinu”, puis fondée sur la base de listes d’adventices (ou herbes folles). poésie énumérative et répétitive mots écrits à la main ou issus des typographies.

Puis elle s’est inscrite dans la chair même du papier photo, aux côtés de ce qui fait image, ou bien en tant que poésie seule, se faisant ainsi elle-même image, bien que restant possiblement et littéralement à lire.

Transgression des genres.

Et c’est lors de l’exposition du Musée d’art contemporaind’Ispahan, en 2019, qu’elle s’inscrit sur le mur, de plain pied, aux côtés des œuvres picturales, sous la forme de transferts en grands formats, comme ceux qui accompagnent provisoirement et expliquent les expositions des musées. A part entière et à parts égales avec le peint et gagnant ainsi un statut d’égalité avec la peinture, devenue ici médium lisible côtoyant, complétant le médium non littéralement lisible qu’est la peinture.

Et la peinture…

Avec cette période de la Genèse, les œuvres peintes le sont sur papier, papier découpé, déchiré, arraché, collé, décollé, recollé. Bref, une technique inventée et une technique de circonstance, déterminée pour partie par la nécessité du transport des œuvres: celles-ci ne pèsent point, elles se roulent et ainsi les compagnies aériennes les acceptent volontiers en soute dans un tuyau de carton qui contient une exposition entière. 

Ici il s’agit de peinture, dessins et collages qui nécessitent une maîtrise comme une autre, hors cadre, hors limites, hors standards du bien peint ou du mal peint. Le point de départ est constitué d’une réserve de grandes feuilles de papiers, peintes en couleurs vives, couvertes de milliers d’étoiles tamponnées au pochoir ou tracées au marqueur. C’est dans ce réservoir que sont puisés des morceaux, des lambeaux, arrachés au corps du papier préalablement peint, puis assemblés, constituant peu à peu le corps et le cœur de l’œuvre auxquels s’adjoignent peu à peu des chutes de découpages antérieurs, des chutes d’autres œuvres. Il n’y a là aucun projet que celui qu’impose une pratique poursuivie,  sans esquisse formalisée. Des logiques d’agencements s’imposent peu à peu, débouchant peu ou prou sur un faire aux rituels installés en même temps qu’implicites. Le noir, le doré, le étoiles mordorées, les aplats, les cernes, tout cela constitue un vocabulaire plastique, une écriture, un style, à la fois une aventure et une expérience qui, dans sa répétition finit par devenir un savoir faire que Brigaudiot ne tardera certes point à transgresser; le faire à force de se faire se réinvente et va de l’avant vers l’ailleurs.

La Genèse, comme d’autres thèmes bibliques présents dans l’œuvre de Brigaudiot, ne relève pas du religieux, même si elle y trouve sa thématique. Faible écho de l’infini, ce thème déploie une poésie métaphysique où toute chose, bien que finie, erre sans fin, faible écho, parmi les étoiles et en la nuit si sombre de l’ignorance.